108.
Une cervelle avec des câpres, des oignons et du vinaigre balsamique. Elle est apportée par le serveur sur un plat d’argent. Isidore fixe ce bout de chair rosé luisant qui atterrit dans son assiette et, dégoûté, repousse le mets.
— C’est de la cervelle de mouton. Je croyais que ce serait une bonne idée, dit Jérôme Bergerac. Pour nous remettre dans le sujet, n’est-ce pas ?
— Je suis plutôt végétarien, élude Isidore.
— Ça me rappelle trop de souvenirs, ajoute Umberto délaissant lui aussi le plat.
Seule Lucrèce mange avec entrain.
— Désolée, mais toutes ces émotions m’ont ouvert l’appétit et j’ai encore très faim.
Elle découpe une belle tranche qu’elle mâche avec ravissement. Jérôme Bergerac sert du mouton-rothschild 1989 à température ambiante dans les verres de cristal.
— Alors, Umberto, racontez-nous tout.
Umberto fait tourner le vin dans son verre tout en en scrutant la robe d’un œil expert.
— Vous êtes connaisseur, n’est-ce pas ? demande Jérôme Bergerac en se lissant l’extrémité droite de la moustache.
— Non, j’étais ivrogne.
Lucrèce recentre sur le sujet :
— Alors que s’est-il passé ?
Umberto consent à parler :
— Comme vous le savez, après l’accident avec ma mère j’ai démissionné de l’hôpital. Puis je suis devenu clochard et là j’ai été récupéré par Fincher comme marin taxi. Un soir où je devais attendre que Fincher ait fini de travailler pour le ramener à Cannes, j’ai remarqué qu’il était anormalement en retard. Je me suis dit qu’il devait être plongé dans ses expériences et qu’il n’avait pas vu l’heure tourner. Alors j’ai voulu aller le chercher.
Umberto prend un air mystérieux.
— Il n’était pas dans son bureau. Il n’était pas au labo. Mais j’y suis resté car des éléments avaient été modifiés. Il y avait des souris dans des cages avec dessus des noms : Jung, Pavlov, Adler, Bernheim, Charcot, Coué, Babinski, etc. Les cobayes avaient tous une petite antenne qui dépassait de leur crâne. J’ai approché ma main des souris et rien qu’à leur attitude j’ai compris qu’elles n’étaient pas normales. Trop nerveuses. Elles avaient le même comportement que les cocaïnomanes. Très vives, mais en même temps très paranoïaques. Comme si elles percevaient tout plus fort et plus rapidement que les autres. Pour en avoir le cœur net, j’ai pris une souris et je l’ai introduite dans un labyrinthe mobile aléatoire qui définit chaque fois un cheminement différent.
Normalement elles mettent au mieux quelques minutes à sortir de ce genre d’épreuve, mais là, en une dizaine de secondes, elle avait trouvé le centre et agitait un levier de manière spasmodique. J’étais évidemment très intrigué. C’est à ce moment que Fincher est entré. Je savais qu’il était parti en séminaire en Russie. Il était « bizarre ».